mercredi 23 septembre 2009

5ème jour, Rue, ville maudite

Mardi 4 août
On pensait dormir longtemps, chacun bien installé dans sa tente, mais la chaleur du Soleil nous réveille dès 9 heures. P’tit déj’, calés sur les tables en bois du camping, encore vides de tout morveux. On prend notre temps : Milouse ne s’est pas réveillé et n’arrivera à la gare qu’à 15h. Il prend un train lent, il a emmené sa Game Boy pour se désennuyer, j’sais pas si c’est une bonne idée avec les bords de mer qui nous attendent. Le temps de plier la cargaison, faire des courses pour deux jours, et on le rejoint à la gare.
Le plan est simple : à sa descente du train, on le chope, sans lui laisser le temps de réfléchir, pour monter dans un bus direction Le Crotoy.
Il voulait passer une nuit au camping avant de bouger, mais l’endroit devient insupportable. Ça fait deux jours que je croupis ici. On a déjà visité tout le village. La campagne, c’est sympa, mais avec la mer à 8 km, on a un peu l’impression de manquer la fête.
Le ventre rempli, je commence à faire mon sac, en espérant retrouver mon couteau. Aucune trace.
Mais quelque chose m’inquiète. Une fois que tout est rentré, il me semble ne pas avoir vu mon portefeuille. Je retourne la tente, encore debout, voir si il ne se planque pas dans un des coins, ou en dessous. Il doit être dans la poche de mon pantalon d’hier soir. Celui qui est plié, rangé tout au fond du sac que j’ai mis 20 minutes à assembler… Mebeh est loin d’être prêt, il végète au sol, perdu dans un de ses mystérieux moments de flemme, ça me laisse le temps de vérifier.
Rien dans les poches.
Rien dans les mains.
Aïe.
Je commence méthodiquement à soupeser la catastrophe : Milouse arrivera normalement avec de l’argent que lui a transmis la mère de Mebeh. En attendant je suis la seule ressource financière. Il faut que je retrouve ce portefeuille.
Mais j’suis con, ne serait-ce que d’un point de vue vital : y a tous mes putains de papiers là-dedans ! J’l’ai un peu vidé avant de partir, à part carte d’identité, carte bancaire, carte 12-25, carte vitale, un peu de maille, … pour la troisième fois an cinq jours, je me dis que le voyage est mort.
Mebeh joue de la guitare.
Je me concentre, me rejoue pleins de scène, gratte ma mémoire jusqu’à l’évidence : j’ai dû le faire tomber hier soir, pendant la sortie.
Mebeh se lève et déclare « Tu refais une dernière vérif’, moi, j’vais inspecter tous les endroits qu’on a pu croiser ». Et il s’en va, d’un pas décidé, sous un soleil de plomb qui s’approche de son zénith.
Je défais mon sac, pour la deuxième fois. Comme un robot, je déplie tout. J’épluche. Je sonde.
C’est inutile. Je fourre tout dans le tente, la zippe, et part rejoindre Mebeh.
Je le croise dans le centre-ville. Il est bredouille, il a fait un petit tour, croisé des gendarmes qui ont appelé leur Q.G et la mairie, sans résultat. Je propose qu’on élargisse le tour jusqu’au moindre recoin croisé hier. Mebeh fatigue, il est midi passé, si j’ai vraiment perdu cette merde, il faudra, tout d’abord prévenir le patron du camping qui l’a peut-être retrouvé, déclarer la perte/le vol à la gendarmerie, faire opposition à la banque, bref, le temps est compté.
Je me mets à courir et laisse Mebeh aller à son rythme.
Mes chevilles douloureuses chialent, mais je ne peux pas me résigner. Les tartines de ce matin datent, mais je pousse l’effort, je veux pouvoir me dire que j’ai tout tenté. Et dans ma tête, ça cogite à mort.
Je sais que je l’avais en partant de l’étang, quand on a subit notre coup de parano. Puis je me vois clairement vider mes poches devant la tente avant d’aller prendre une douche.
Et puis je repense au camping, au couteau qu’est plus là, au tentes plantées derrière les chiottes et aux putains de gosses qui tournent autour, qu’ont rien d’autre à foutre de leurs journées, qu’ont même pas la mer, ou une piscine pour s’amuser. Avec leurs vélos à la con, avec leurs petites mains à la con, et leurs parents à la con…
« Bonjour, excusez-moi, vous n’auriez pas trouvé un portefeuille au bord de l’étang ? »
-ha bah non, on vient d’arriver. » et ils reprennent leur pique-nique.
Putains de picards, j’ai l’impression qu’ils sont tous dans le coup. Je suis le Grand Pigeon de Rue, la ville maudite.
Dans l’agitation, je perds Mebeh durant un long moment. Plutôt que de l’attendre, s’il a suivi la même boucle que moi, je rentre au camping, et repars à sa rencontre les bras chargés de victuailles : pain, pâté, eau…

A mes yeux, cette énième péripétie annonce clairement la fin de ma route, et je n’ai même pas de quoi me payer le retour.
Entre deux bouchées pleines de sécheresse, Meb m’assure que Milouse arrive avec son fric, et qu’il pourra me payer la suite, et que je le rembourserai plus tard, et que la vie continue, et qu’avec toutes les crasses qui me sont arrivées depuis le début, statistiquement, il ne peut rester que du bon, et qu’on se marrera quand on reparlera de tout ça.
Retour au camping. Je regarde la dernière photo prise la veille, la dernière avant de rentrer dormir : le Graal qu’on a quêté toute la matinée y apparait, posé sur l’étui de la guitare. C’est quand on était dans le terrain vague. J’ai fouillé cet endroit, complètement désert, ce matin.
Conclusion, le vol a pu avoir lieu dans le camping.
Les choses se clarifient sensiblement : c’est pendant cette putain de douche. Mebeh, qui s’était branché à la borne, téléphonait derrière sa tente. Ça ne peut qu’être ça. Dix minutes de flottement, le portefeuille en évidence sous le porche de ma tente, une petite main sur le guidon, l’autre, rapide comme l’éclair, s’élance et zou, tournée de sucette pour tout le monde.
J’observe les gosses, cherche à déceler des réactions, Mebeh pose quelques questions à certains, puis j’intercepte le patron pour le mettre au courant.
Le mec n’en a rien à foutre. Pleins de choses à faire, bougez pas j’reviens, j’ai pas bougé pendant 10 minutes, puis j’me suis lancé dans un tour du camping. On sait jamais, des fois qu’il y ait un de mes papiers, inutiles à d’autres, qui aient été jetés.
Et là, j’ai croisé toute la misère des vacances en camping, en Picardie, à 8 km de la plage.
Chaque famille, réunie, attablée à côté de sa caravane, à me regarder passer en silence, quitte à interrompre mastications et disputes injurieuses. J’ai détesté chacune de ses personnes, et elles me l’ont toutes rendu dans leur regard. J’ai bien senti qu’on n’avait plus rien à faire dans ce foutu panier de crabes. J’ai comprise l’importance d’être nomade, de laisser toutes les merdes derrière soi, quoiqu’il arrive, de laisser le vent nettoyer.
On boucle tout, tente et tout, je coince le patron dans son bureau. Il en a toujours rien à foutre. Ça ne le concerne pas, faut toujours bien fermer sa tente et pis c’est tout. « J’pense que vous l’reverrez pas vot’ portefeuille. Reste plus qu’à aller à la gendarmerie, et à faire opposition, pis c’est tout » L’enculé, il l’aurait pris sur un autre ton si j’avais pas payé à l’avance. J’en profite pour lui parler de mon couteau-suisse, il me le sort d’un placard en disant qu’il l’avait trouvé sur une borne du gaz, juste à côté de ma tente. J’avoue que je l’y avais posé. Le gros malin trouve le moyen de me faire passer pour un connard en plus. Il finit par accepter de prendre mon numéro, à contrecœur, pour au cas où il mettrait la main sur mon bien.
Les adieux sont hargneux.
Tout le camping nous déteste. On n’est vraiment dans un autre monde.
Je pars en rêvant de taguer « MODIBOFS » à l’encre de chine, sur le panneau du camping, mais on se contentera de maudire l’endroit.
Et puis nous revoici avec nos sacs, en train de traverser la ville qu’on a fouillée de fond en comble.
Seul, j’avais un drôle d’air, à deux, en se voyant dans les vitrines, on fait peur. Pas qu’on ai l’air dangereux, on dirait simplement des fous, avec nos sacs plus gros que nous.
On n’a pas grand chose à parcourir, mais c’est déjà le retour de la souffrance.
Et puis Mebeh fait connaissance avec ce que j’ai traversé durant trois jours.
Chacun connait sa mission, il est de corvée de courses, avec le peu d’argent qui lui reste, à lui de faire au mieux. Moi, je me barre de l’autre côté de Rue. La gendarmerie.
C’est loin, deux fois plus loin que la gare. Je fais au plus vite, Milouse arrive. Il n’est au courant de rien, si en plus il ne trouve personne à l’accueil, il va faire une drôle de gueule. Je ne le connais pas bien, je l’ai vu une fois. Je sais juste qu’il est blond, pas très grand, qu’il joue vraiment bien de la guitare, dans un style manouche. J’espère que le contact va bien passer.
J’arrive au petit bureau principal de la gendarmerie, aiguillé par un pompier complètement défoncé, que j’ai dérangé dans sa caserne.

Porte vitrée, je pousse, salle d’attente, trois chaises, un bureau, un gros, képi collé au téléphone, je pose le sac, enlève ma casquette, vide ma bouteille d’eau, et me concentre pour avoir l’air le plus souffreteux et le plus scout possible, je n’aimerai pas avoir l’air suspect alors que je viens pour une plainte. J’ai pas envie de répondre à des questions à la con, qu’il m’interroge sur mon itinéraire, les endroits interdits où j’ai dormi. Et puis Milouse arrive chargé, et faudrait mieux ne pas attirer l’attention policière sur ce garçon de 19 ans.
Le téléphone est raccroché, je raconte mes problèmes. Je lui parle de mes cartes, de mon impression d’un vol, plus que d’une perte. « Il est de quelle couleur ce portefeuille ?». Petit espoir, il me sort trois portefeuilles, qui n’ont aucun rapport. Merde.
On rappelle la mairie pour être sur de la disparition, puis il me rempli une déclaration de perte de papiers d’identité, me surveillant d’un œil torve lorsque je donne les lieux de naissance de mes parents.
Je repars, allégé d’une mission importante. J’appelle ma mère qui se charge de l’opposition bancaire, et j’arrive gare de Rue, Milouse est arrivé, ils sont posés sur un trottoir avec Mebeh.
Il a ramené la guitare de Mebeh, qu’il a réparé, Mebeh était venu avec celle de Milouse.
Le prochain bus passe dans plus d’une heure, mauvais timing.
Mebeh appelle sa banque, car il y a un gros problème… sa mère ne lui à rien fait d’autre passer qu’un RIB inutile. Il passe beaucoup de temps au téléphone, on le voit remuer de loin.
Milouse n’est venu qu’avec 15 euros, et étant le seul à pouvoir tirer de l’argent, se retrouve, malgré lui, mécène de deux boulets. Bref, le futur, prévu ce matin, est plus que compromis.
J’me rends compte qu’on est au même endroit et un peu dans la même situation que le québecquois édenté. C’est un peu drôle. Un peu.
D’un seul coup, tout s’accélère, Mebeh menace de quitter sa banque, qui finit par lui débloquer 200 et quelques euros. Il se ramène avec une liasse de billets. Le temps de jouer un morceau pour fêter ça, le bus pour le Crotoy arrive. Le ticket ne coûte qu’un euro pour les moins de 26 ans. Avec nos corps, sacs, guitares, tentes, on occupe 8 places, et c’est parti, que la fête commence, on quitte ce putain de trou où l’on ne reviendra jamais.
Le wagon a retrouvé ses rails !
Bim, le bus nous jette à une rue du bord de mer.
Le soleil est fort et rasant, on pose notre caravane que des mamies bronzées acceptent de surveiller, et on court dans la vase, pour tremper nos pieds dans l’eau, basse de 200 mètres. Pas de quoi se baigner, mais c’est déjà un plaisir. Le stress de la journée se dissous dans l’iode. Avec nos looks improbables, on carnavalise Le Crotoy. Des gens nous regardent médusés. Le soleil se réverbère partout, c’est les vacances qui commencent.

Le jour se couche mais la farandole continue.
On tire nos affaires le long de la plage, à un bon kilomètre de la ville, dans un nid bien tranquille au cœur de la Baie de Somme désertique. La mer est trop loin pour être vue, elle reviendra dans quelques heures, en attendant, on se pose sur la plage, et on y reste jusque tard dans la nuit, éparpillant nos affaires à dix mètres à la ronde, s’échangeant les guitares, mangeant, buvant, fumant, hurlant comme bon nous semble. On voit la Lune se lever, et le panorama est si large qu’on peut observer son effet sur la mer, qui monte la chercher et descend avec elle.
Lorsque le sommeil se fait sentir, et qu’on n’est même plus capable de trouver une forme dans les nuages qui couvrent, petit à petit, la nuit claire, on rassemble tout, ce qui n’est pas une mince affaire, et on monte dans les dunes, poser nos tentes dans un cratère de sable repéré en arrivant dans la soirée.
Incroyable, le sable, refroidi, y est si fin qu’on a l’impression de marcher dans l’eau. Vraiment.
C’est le plus doux des matelas de ma semaine, j’invite tous les sacs dans ma tente, Milouse dort dans celle de Mebeh. Encore une fois, une journée forte, qui oscille dans tous les extrêmes. Putain que j’aime ce voyage. Dans tous ses détails.





















1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bordel de merde je decouvre que maintentant ta note et j'adore!

 
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