mercredi 23 septembre 2009

5ème jour, Rue, ville maudite

Mardi 4 août
On pensait dormir longtemps, chacun bien installé dans sa tente, mais la chaleur du Soleil nous réveille dès 9 heures. P’tit déj’, calés sur les tables en bois du camping, encore vides de tout morveux. On prend notre temps : Milouse ne s’est pas réveillé et n’arrivera à la gare qu’à 15h. Il prend un train lent, il a emmené sa Game Boy pour se désennuyer, j’sais pas si c’est une bonne idée avec les bords de mer qui nous attendent. Le temps de plier la cargaison, faire des courses pour deux jours, et on le rejoint à la gare.
Le plan est simple : à sa descente du train, on le chope, sans lui laisser le temps de réfléchir, pour monter dans un bus direction Le Crotoy.
Il voulait passer une nuit au camping avant de bouger, mais l’endroit devient insupportable. Ça fait deux jours que je croupis ici. On a déjà visité tout le village. La campagne, c’est sympa, mais avec la mer à 8 km, on a un peu l’impression de manquer la fête.
Le ventre rempli, je commence à faire mon sac, en espérant retrouver mon couteau. Aucune trace.
Mais quelque chose m’inquiète. Une fois que tout est rentré, il me semble ne pas avoir vu mon portefeuille. Je retourne la tente, encore debout, voir si il ne se planque pas dans un des coins, ou en dessous. Il doit être dans la poche de mon pantalon d’hier soir. Celui qui est plié, rangé tout au fond du sac que j’ai mis 20 minutes à assembler… Mebeh est loin d’être prêt, il végète au sol, perdu dans un de ses mystérieux moments de flemme, ça me laisse le temps de vérifier.
Rien dans les poches.
Rien dans les mains.
Aïe.
Je commence méthodiquement à soupeser la catastrophe : Milouse arrivera normalement avec de l’argent que lui a transmis la mère de Mebeh. En attendant je suis la seule ressource financière. Il faut que je retrouve ce portefeuille.
Mais j’suis con, ne serait-ce que d’un point de vue vital : y a tous mes putains de papiers là-dedans ! J’l’ai un peu vidé avant de partir, à part carte d’identité, carte bancaire, carte 12-25, carte vitale, un peu de maille, … pour la troisième fois an cinq jours, je me dis que le voyage est mort.
Mebeh joue de la guitare.
Je me concentre, me rejoue pleins de scène, gratte ma mémoire jusqu’à l’évidence : j’ai dû le faire tomber hier soir, pendant la sortie.
Mebeh se lève et déclare « Tu refais une dernière vérif’, moi, j’vais inspecter tous les endroits qu’on a pu croiser ». Et il s’en va, d’un pas décidé, sous un soleil de plomb qui s’approche de son zénith.
Je défais mon sac, pour la deuxième fois. Comme un robot, je déplie tout. J’épluche. Je sonde.
C’est inutile. Je fourre tout dans le tente, la zippe, et part rejoindre Mebeh.
Je le croise dans le centre-ville. Il est bredouille, il a fait un petit tour, croisé des gendarmes qui ont appelé leur Q.G et la mairie, sans résultat. Je propose qu’on élargisse le tour jusqu’au moindre recoin croisé hier. Mebeh fatigue, il est midi passé, si j’ai vraiment perdu cette merde, il faudra, tout d’abord prévenir le patron du camping qui l’a peut-être retrouvé, déclarer la perte/le vol à la gendarmerie, faire opposition à la banque, bref, le temps est compté.
Je me mets à courir et laisse Mebeh aller à son rythme.
Mes chevilles douloureuses chialent, mais je ne peux pas me résigner. Les tartines de ce matin datent, mais je pousse l’effort, je veux pouvoir me dire que j’ai tout tenté. Et dans ma tête, ça cogite à mort.
Je sais que je l’avais en partant de l’étang, quand on a subit notre coup de parano. Puis je me vois clairement vider mes poches devant la tente avant d’aller prendre une douche.
Et puis je repense au camping, au couteau qu’est plus là, au tentes plantées derrière les chiottes et aux putains de gosses qui tournent autour, qu’ont rien d’autre à foutre de leurs journées, qu’ont même pas la mer, ou une piscine pour s’amuser. Avec leurs vélos à la con, avec leurs petites mains à la con, et leurs parents à la con…
« Bonjour, excusez-moi, vous n’auriez pas trouvé un portefeuille au bord de l’étang ? »
-ha bah non, on vient d’arriver. » et ils reprennent leur pique-nique.
Putains de picards, j’ai l’impression qu’ils sont tous dans le coup. Je suis le Grand Pigeon de Rue, la ville maudite.
Dans l’agitation, je perds Mebeh durant un long moment. Plutôt que de l’attendre, s’il a suivi la même boucle que moi, je rentre au camping, et repars à sa rencontre les bras chargés de victuailles : pain, pâté, eau…

A mes yeux, cette énième péripétie annonce clairement la fin de ma route, et je n’ai même pas de quoi me payer le retour.
Entre deux bouchées pleines de sécheresse, Meb m’assure que Milouse arrive avec son fric, et qu’il pourra me payer la suite, et que je le rembourserai plus tard, et que la vie continue, et qu’avec toutes les crasses qui me sont arrivées depuis le début, statistiquement, il ne peut rester que du bon, et qu’on se marrera quand on reparlera de tout ça.
Retour au camping. Je regarde la dernière photo prise la veille, la dernière avant de rentrer dormir : le Graal qu’on a quêté toute la matinée y apparait, posé sur l’étui de la guitare. C’est quand on était dans le terrain vague. J’ai fouillé cet endroit, complètement désert, ce matin.
Conclusion, le vol a pu avoir lieu dans le camping.
Les choses se clarifient sensiblement : c’est pendant cette putain de douche. Mebeh, qui s’était branché à la borne, téléphonait derrière sa tente. Ça ne peut qu’être ça. Dix minutes de flottement, le portefeuille en évidence sous le porche de ma tente, une petite main sur le guidon, l’autre, rapide comme l’éclair, s’élance et zou, tournée de sucette pour tout le monde.
J’observe les gosses, cherche à déceler des réactions, Mebeh pose quelques questions à certains, puis j’intercepte le patron pour le mettre au courant.
Le mec n’en a rien à foutre. Pleins de choses à faire, bougez pas j’reviens, j’ai pas bougé pendant 10 minutes, puis j’me suis lancé dans un tour du camping. On sait jamais, des fois qu’il y ait un de mes papiers, inutiles à d’autres, qui aient été jetés.
Et là, j’ai croisé toute la misère des vacances en camping, en Picardie, à 8 km de la plage.
Chaque famille, réunie, attablée à côté de sa caravane, à me regarder passer en silence, quitte à interrompre mastications et disputes injurieuses. J’ai détesté chacune de ses personnes, et elles me l’ont toutes rendu dans leur regard. J’ai bien senti qu’on n’avait plus rien à faire dans ce foutu panier de crabes. J’ai comprise l’importance d’être nomade, de laisser toutes les merdes derrière soi, quoiqu’il arrive, de laisser le vent nettoyer.
On boucle tout, tente et tout, je coince le patron dans son bureau. Il en a toujours rien à foutre. Ça ne le concerne pas, faut toujours bien fermer sa tente et pis c’est tout. « J’pense que vous l’reverrez pas vot’ portefeuille. Reste plus qu’à aller à la gendarmerie, et à faire opposition, pis c’est tout » L’enculé, il l’aurait pris sur un autre ton si j’avais pas payé à l’avance. J’en profite pour lui parler de mon couteau-suisse, il me le sort d’un placard en disant qu’il l’avait trouvé sur une borne du gaz, juste à côté de ma tente. J’avoue que je l’y avais posé. Le gros malin trouve le moyen de me faire passer pour un connard en plus. Il finit par accepter de prendre mon numéro, à contrecœur, pour au cas où il mettrait la main sur mon bien.
Les adieux sont hargneux.
Tout le camping nous déteste. On n’est vraiment dans un autre monde.
Je pars en rêvant de taguer « MODIBOFS » à l’encre de chine, sur le panneau du camping, mais on se contentera de maudire l’endroit.
Et puis nous revoici avec nos sacs, en train de traverser la ville qu’on a fouillée de fond en comble.
Seul, j’avais un drôle d’air, à deux, en se voyant dans les vitrines, on fait peur. Pas qu’on ai l’air dangereux, on dirait simplement des fous, avec nos sacs plus gros que nous.
On n’a pas grand chose à parcourir, mais c’est déjà le retour de la souffrance.
Et puis Mebeh fait connaissance avec ce que j’ai traversé durant trois jours.
Chacun connait sa mission, il est de corvée de courses, avec le peu d’argent qui lui reste, à lui de faire au mieux. Moi, je me barre de l’autre côté de Rue. La gendarmerie.
C’est loin, deux fois plus loin que la gare. Je fais au plus vite, Milouse arrive. Il n’est au courant de rien, si en plus il ne trouve personne à l’accueil, il va faire une drôle de gueule. Je ne le connais pas bien, je l’ai vu une fois. Je sais juste qu’il est blond, pas très grand, qu’il joue vraiment bien de la guitare, dans un style manouche. J’espère que le contact va bien passer.
J’arrive au petit bureau principal de la gendarmerie, aiguillé par un pompier complètement défoncé, que j’ai dérangé dans sa caserne.

Porte vitrée, je pousse, salle d’attente, trois chaises, un bureau, un gros, képi collé au téléphone, je pose le sac, enlève ma casquette, vide ma bouteille d’eau, et me concentre pour avoir l’air le plus souffreteux et le plus scout possible, je n’aimerai pas avoir l’air suspect alors que je viens pour une plainte. J’ai pas envie de répondre à des questions à la con, qu’il m’interroge sur mon itinéraire, les endroits interdits où j’ai dormi. Et puis Milouse arrive chargé, et faudrait mieux ne pas attirer l’attention policière sur ce garçon de 19 ans.
Le téléphone est raccroché, je raconte mes problèmes. Je lui parle de mes cartes, de mon impression d’un vol, plus que d’une perte. « Il est de quelle couleur ce portefeuille ?». Petit espoir, il me sort trois portefeuilles, qui n’ont aucun rapport. Merde.
On rappelle la mairie pour être sur de la disparition, puis il me rempli une déclaration de perte de papiers d’identité, me surveillant d’un œil torve lorsque je donne les lieux de naissance de mes parents.
Je repars, allégé d’une mission importante. J’appelle ma mère qui se charge de l’opposition bancaire, et j’arrive gare de Rue, Milouse est arrivé, ils sont posés sur un trottoir avec Mebeh.
Il a ramené la guitare de Mebeh, qu’il a réparé, Mebeh était venu avec celle de Milouse.
Le prochain bus passe dans plus d’une heure, mauvais timing.
Mebeh appelle sa banque, car il y a un gros problème… sa mère ne lui à rien fait d’autre passer qu’un RIB inutile. Il passe beaucoup de temps au téléphone, on le voit remuer de loin.
Milouse n’est venu qu’avec 15 euros, et étant le seul à pouvoir tirer de l’argent, se retrouve, malgré lui, mécène de deux boulets. Bref, le futur, prévu ce matin, est plus que compromis.
J’me rends compte qu’on est au même endroit et un peu dans la même situation que le québecquois édenté. C’est un peu drôle. Un peu.
D’un seul coup, tout s’accélère, Mebeh menace de quitter sa banque, qui finit par lui débloquer 200 et quelques euros. Il se ramène avec une liasse de billets. Le temps de jouer un morceau pour fêter ça, le bus pour le Crotoy arrive. Le ticket ne coûte qu’un euro pour les moins de 26 ans. Avec nos corps, sacs, guitares, tentes, on occupe 8 places, et c’est parti, que la fête commence, on quitte ce putain de trou où l’on ne reviendra jamais.
Le wagon a retrouvé ses rails !
Bim, le bus nous jette à une rue du bord de mer.
Le soleil est fort et rasant, on pose notre caravane que des mamies bronzées acceptent de surveiller, et on court dans la vase, pour tremper nos pieds dans l’eau, basse de 200 mètres. Pas de quoi se baigner, mais c’est déjà un plaisir. Le stress de la journée se dissous dans l’iode. Avec nos looks improbables, on carnavalise Le Crotoy. Des gens nous regardent médusés. Le soleil se réverbère partout, c’est les vacances qui commencent.

Le jour se couche mais la farandole continue.
On tire nos affaires le long de la plage, à un bon kilomètre de la ville, dans un nid bien tranquille au cœur de la Baie de Somme désertique. La mer est trop loin pour être vue, elle reviendra dans quelques heures, en attendant, on se pose sur la plage, et on y reste jusque tard dans la nuit, éparpillant nos affaires à dix mètres à la ronde, s’échangeant les guitares, mangeant, buvant, fumant, hurlant comme bon nous semble. On voit la Lune se lever, et le panorama est si large qu’on peut observer son effet sur la mer, qui monte la chercher et descend avec elle.
Lorsque le sommeil se fait sentir, et qu’on n’est même plus capable de trouver une forme dans les nuages qui couvrent, petit à petit, la nuit claire, on rassemble tout, ce qui n’est pas une mince affaire, et on monte dans les dunes, poser nos tentes dans un cratère de sable repéré en arrivant dans la soirée.
Incroyable, le sable, refroidi, y est si fin qu’on a l’impression de marcher dans l’eau. Vraiment.
C’est le plus doux des matelas de ma semaine, j’invite tous les sacs dans ma tente, Milouse dort dans celle de Mebeh. Encore une fois, une journée forte, qui oscille dans tous les extrêmes. Putain que j’aime ce voyage. Dans tous ses détails.





















jeudi 17 septembre 2009

Batard sans sel

Pour changer un peu du carnet de voyage, j'ai fait un carnet d'insultes

Batard sans sel
















Batard sans sel












dimanche 13 septembre 2009

Quatrième jour, trainer dans Rue

Lundi 3 août
Frot, Frot, on tape à la porte en toile de mon abri.
« y a quéqu’un là d’dans ? »
C’est le patron du camping. Il me dit qu’il m’attend dans son bureau, accolé aux chiottes, pour que je le paye, rapidement, il a plein d’autres choses à faire. Tain mais il est quelle heure ?
Je sors habillé comme en plein jour, tellement j’ai eu froid dans la nuit.
Il fait beau, le Soleil a déjà séché la rosée. Chaussures au pied, desserrées pour laisser souffler les chevilles, je boite tout autour des sanitaires. Le mec, le boss, a une gueule tirée, on dirait Vincent Lyndon, en gros et torse nu, comme tout le monde ici. Il s’exprime de la même manière que ses autres clients, un mec du coin, quoi.
Je fais tâche.
La tête dans le cul, je le laisse faire ses calculs.
J’ai pris des tickets pour deux nuits, vu que je ne sais toujours pas, avec certitude, si Mebeh arrive aujourd’hui ou non. Alors, avec le prix TTC que j’avais pas lu, plus une taxe d’habitation (??), plus deux douches chaudes parce que « j’connais personne qui prend pas de douche dans la journée, ou alors c’est qu’i fait rien d’lô journée », on arrive à un total de 9euros40. J’pensais payer le tiers.
Je règle et retourne au pieu, il est 8h, j’ai rien à bouffer et les magasins n’ouvrent pas avant 9h, m’a dit l’arnaqueur.
La suite de ma matinée se résume ainsi : écouter les messages nocturnes de Mebeh qui arrive à 12h05 ( il est très fatigué, parfait ), envoyer une lettre au Japon, acheter des croissants pour le café, du pain pour le midi, me procurer les horaires de bus pour Le Crotoy, et les horaires du train à vapeur qu’on y trouvera. Missions accomplies d’un pas chancelant, je continue mon repos au milieu des gosses. Une journée banale, au fin fond de la Somme, ça me va.
Midi, je me traîne à la gare de Rue. On est dix à se partager l’ombre sur le quai. Dix, et c’est vers moi que se dirige un drôle de mec. Du bout de son look, il me décoche un « hello ! ». Je sens que c’est parti. Il est petit, ridé, cheveux long, il porte un chapeau de cowboy, un immense sac à dos et une tente automatique sous le bras.
Le temps que le train arrive, il m’a tout raconté avec son accent.
Résumé : canadien, 61 ans, guide touristique de métier, en vacances en France, il se rendait en Angleterre mais s’est fait agresser à coups de batte de baseball par des skinheads à Boulogne (Pas-de-Calais). Il attendait un train, une femme aussi, ils se sont tous les deux fait tabasser sur le quai. Il me conseille d’éviter cette ville, où ils sont tous fous.
Il s’est fait casser les dents du bas, et s’est tout fait voler. Jusqu’à la prothèse de son pouce (il me gigote le doigt manquant). Il a été admis à l’hôpital durant 4 jours puis s’est fait mettre dehors avec sa tente Quetchua. L’ambassade le dédommage dans une semaine, en attendant, il n’a pas un rond, rien à manger. Il me raconte une blague de bûcheron à propos de ma barbe, comme quoi on peut en faire des brosses à caniche qui se vendrait 25$ pièce. Il me raconte qu’il joue de la guitare, du blues. J’hésite à lui proposer de se joindre à nous, mais je me vois mal entretenir un sexagénaire au camping des peupliers.
Puis son discours suinte le mensonge. Ses dents du bas ont l’air d’avoir disparu depuis longtemps, et pour d’autres raisons. Et puis il n’a pas une marque de coup, c’était une batte chirurgicale.
Il a besoin de 5 euros pour prendre un train après celui qu’il attend. Moi, j’ai besoin de ma thune pour le voyage. Je lui propose un bout de pain alors que son train ralenti en gare, « je ne pourrai jamais le manger », mais il le prend quand même.
Il monte dans un wagon.

Mebeh sort d’un autre, avec la même tente en bandoulière.
Un sac à dos bleu, une guitare, dans sa housse, au bras, vêtu d’une chemise, d’un pantalon et d’un chapeau, on se rejoint en plein cagnard, il est vacances depuis deux jours, et bien décidé à profiter du voyage. Mais sur l’instant, on a la dalle. On part à la recherche d’un coin d’ombre pour se fabriquer nos sandwiches.
On passe devant une banque, il s’y rend compte que sa carte bancaire est bloquée. Pas de raison spéciale, une erreur administrative ou un truc. Bref, il n’a que 15 euros en poche pour les jours qui suivent. Heureusement que ça marche de mon côté, et puis son pote Milouse débarque peut-être demain, on arrivera bien à l’entretenir à deux.
Pique nique vacancier.
Puis Mebeh extrait de son sac un long manche de bois, comme Mary Poppins sort un lampadaire de son sac à main, et me présente ce qu’il appelle « l’Anti Ours ».
Là où je n’ai emmené qu’une bombe lacrymogène, il s’est fabriqué une batte à clous évoluée pendant son stage en entreprise de charpente. C'est-à-dire qu’il a taillé la chute d’une planche pour qu’elle tienne dans une main. Et au bout, après avoir enlevé le fourreau de protection constitué d’une boite de conserve carrée, et d’un torchon enroulé, on découvre le côté contendant de la chose. Comment décrire ça ? Il y a de chaque côté de la planche une plaque de métal hérissée de piques coupants, recouvert d’un lubrifiant qui, parait-il, infecte toute plaie qui s’aventure alentour. Ça sert, dans son usage normal et sain, à relier les poutres entre elles.
Que le plus dur des artisans ose y mettre les mains, il pleurera sa mère trois jours et trois nuits durant. Sans exagérer.
Il range son arme de terroriste, et on se dirige vers le camping, que je lui décris, pour qu’il soit prêt.
Juste avant d’y arriver, on passe devant une grange/ boutique/pompe à essence/garage tenu par un gros monsieur qui nous voit discuter sur les chariots vendu en terrasse. Il nous fait rentrer dans sa caverne où trainent des bouts de mobylettes, des tronçonneuses de toutes tailles, des bidons remplis de tout, des trésors qui se négocient ici, de père en fils, depuis 1930.
Une musique calme plane dans son fourbi de bord de route mexicaine, il y fait frais, les sous pentes en bois du grenier apparent laissent circuler l’air. C’est sympathique, deux secondes.
Mebeh croule sous ses affaires, et aimerai bien faire une grosse sieste.
On traine pas. Zou, camping, sa tente rouge « 2 secondes » se déplie à toute seule côté de ma tente « 10 minutes ».

On fait quelques courses dans l’aprèm’, Mebeh exécute un tour de passe-passe au milieu du Champion de Rue, en faisant disparaitre un tire-bouchon sous son chapeau. Il faut dire que mon couteau-suisse a disparu, donc il a fallut aussi acheter un couteau.
Je soupçonne les gosses de me l’avoir torpillé.
Course légère pour éviter de s’alourdir : j’ai mis trois jours à me débarrasser de 6 kilos de bouffe, j’vais pas faire deux fois la même erreur.
Un peu de guitare, de sieste, de téléphone pour convaincre Milouse de venir. Je croyais que c’était prévu qu’il vienne sans faute, Mebeh lui baratine qu’on va rester au camping pour l’inciter à se pointer, mais on sait bien tous les deux qu’on va pas rester mille ans dans cette cage aux fauves.
Puis vient la soirée.
On la passe hors du camping, cherchant un coin de Rue où savourer, en toute quiétude, le foie gras qu’il a ramené, accompagné d’une bouteille de Muscat, et où l’on pourra faire de la musique sans déranger les apéros caravanesques.
On tourne longtemps avant d’être orienté vers un étang paisible. On s’assoit au bord, beaucoup de canards y caquettent. On s’apprête à diner dans cette ambiance champêtre baignée d’un Soleil rasant.
C’est alors que deux gros adolescents (décidément, tout le monde est gros) s’incrustent silencieusement dans le décor. Ils restent debout, derrière nous, avec une gigantesque épuisette à la main. Ils ne nous parlent pas, mais on sent qu’on dérange. Sans dialogue, on ramasse nos affaires et on déménage à l’autre bout de la mare. Cachés derrière une rangée de roseaux, on observe curieusement les indigènes. Ils envoient des bouts de pains aux canards qui s’approchent, qui s’approchent. Les deux garçons s’agenouillent et tandis que celui qui lance les miettes continue, l’autre enfonce discrètement son épuisette démesurée dans l’eau.
Et schlof, une scène extraterrestre se joue sous nos yeux. Il ne fait vraiment pas bon être un volatile dans cette région. D’un habile coup de main, ils emportent un des piafs qui se débat dans le filet. N’importe quoi, on est vraiment dans un autre monde. Ils repartent avec leur baluchon remuant sur l’épaule en se marrant.
Après avoir vu les technique de chasseurs, j’en conclus qu’on vient d’assister à la pêche d’un appât qui sera placé dans une cage. C’est vrai que je ne m’étais pas demandé comment ils pouvaient en garder vivants, avec leur fusil. J’ai ma réponse. Charmantes coutumes.
Une fois notre repas fini, on digère allongés au soleil qui se couche. Les lieux sont redevenus tranquilles, jusqu’à ce qu’une moto, suivie d’une bagnole, viennent nous rouler à un mètre de la tête, pour se garer un peu plus loin, dans cet endroit qui n’a rien d’une route.
Ça m’emmerde de me relever pour voir de quoi il s’agit, mais, les moteurs coupés, je perçois une discussion à 4 voix. Un des mecs fini par dire « on fait moitié/moitié ».
Et merde. Je sens que c’est pour notre gueule.
Comme un con, j’ai pris soin d’éparpiller, tout autour de nous, mon portefeuille, mon portable, mon appareil photo. La Cible Idéale. On a l’impression d’être deux canards. L’anti ours et la bombe lacrymo sont restés dans la tente, il nous reste une bouteille de Muscat moitié vide pour nous défendre. On décide de se barrer discrètement. Finalement, c’étaient juste des mecs qui parlaient de shit, et stationnaient pour fumer dans leur voiture.
Avec ces histoires de battes, la paranoïa commence à percer.
On repart en centre ville, on fini par trouver un terrain en friche pour jouer et finir notre bouteille sans encombre, avant de rentrer par crainte d’une heure de fermeture de notre résidence.
Je profite du calme de la fin de soirée pour aller me doucher dans les sanitaires vides, pendant que Mebeh téléphone, avec le portable branché à la borne derrière sa tente.
Confirmation, Milouse arrive bien demain.
On s’endort dans la sérénité animale d’un camping municipal.














mercredi 2 septembre 2009

Camping des peupliers



Ma petite place au soleil
au milieu des fous

Troisième jour, se traîner jusqu'à Rue

Dimanche 2 août
6 heures du mat’, premiers klaxons…
C’est cette assemblée de fils de putes qui rembauche.
Ils y vont bien tôt, pour être bien certains d’être bien des fils de putes tout le long de la journée.
Je ne bouge pas d’un pouce, ça risquerai d’appuyer sur le spray lacrymogène que j’ai serré toute la nuit comme un doudou, et reprend le cours de ma nuit.
Jusqu’à ce qu’il fasse trop chaud.
J’ouvre les yeux, le soleil est en train de glisser sur une des parois, et la tente se transforme en fournaise. Vu la luminosité, je suis prêt à parier qu’on se rapproche des 11h.
J’allume mon téléphone : 9h.
Il est tôt, j’ai toute la journée pour atteindre la gare la plus proche et me barrer d’ici. Le réveil au son des cors et des taïauts n’a fait que me conforter dans cette optique. Paris, Paris, Paris, point.
Je sors à quatre pattes, j’ai eu froid toute la nuit dans mon duvet mouillé. Sous mes mains, l’herbe a déjà séché de toute rosée, et ce n’est pas seulement dans la tente que c’est le Mexique.
J’écoute les messages de la nuit en m’enlevant des couches d’habits.
Mebeh compte finalement arriver lundi, à savoir demain, à Rue, vers midi.
Je me prépare mon café dégueux, assis en tailleur, torse nu. Un petit mètre d’herbe me sépare de la route où des cyclistes filent par paquets, me saluant à leur passage.
Ils semblent tous suivre un même itinéraire organisé : ils déboulent du bout de la voie sans issus, et tournent à gauche après mon carrefour, pour finalement revenir sur leur pas et tourner au virage à gauche suivant en râlant sur le chemin mal indiqué.
Au bout d’un moment, je prends les devant et leur dit « C’est pas la première à gauche, c’est la suivante ».
Je suis resté plus de deux heures à manger, m’étirer, étaler à peu près l’ensemble de mon chargement sur l’herbe pour que ça sèche, fumer, à ranger mes affaires.
Et tout ça presqu’à poil, en ne récoltant que des sourires d’une centaine de cyclistes.
Aucune matinée n’aurait pu être un meilleur signe pour continuer l’aventure.
En y repensant, le sable, la chaleur, le manque d’eau, les nudistes, les marais, les canards, lièvres chasseurs, même la pluie… sans tout ça, j’me serais fait chier quand même.
Ce sont les péripéties qui rendent ce voyage intéressant.
Vu tout ce qui s’est passé en deux jours, j’imagine à peine pas ce qui m’attend pour deux semaines.
En tout cas, ça ne pourra pas être pire.
J’me sens comme les malades qui réclament l’euthanasie, et qui finalement, s’accommodent des soins palliatifs. J’me sens comme eux, à mon petit niveau, hein. Et moi, ma morphine, c’est le soleil, le coup de fil de Mebeh, et la perspective de savoir que Rue n’est qu’à une petite dizaine de km.
Soit 2 ou 3 heures de marche.
Seul bémol: les jambes. Lourdes. Et une douleur est apparue au niveau du tendon du pied gauche.
Pieds nus, ça va, mais les chaussures qui me serrent aux chevilles me font boiter.
Ça va me ralentir.
11h et quelques, le sèche-linge à fait son œuvre, même le sac de couchage est sec. J’ai tout remballé, je me suis rhabillé décemment, j’enfile les bretelles, et hisse mon cauchemardesque boulet sur le dos. La réserve de bouffe tend à baisser, j’ai l’impression de le sentir. Je quitte mon nid de clochard pour la route.
J’essaye d’abord de longer la départementale sur le trottoir d’herbe, qui devient parfois un fossé d’orties, mais je décide finalement de marcher sur le bitume, plus stable. Ça soulage ma cheville folle. J’empiète sur le territoire des bagnoles, ils n’auront qu’à faire comme si j’étais un vélo, et me doubler avec précaution.
Il me reste les ¾ d’une bouteille, et deux autres sont remplies de l’eau du port, pas potable, à utiliser en cas extrême.
Passé midi, je fais une pause sur un rond-point. J’appelle mon père, il est justement sur internet, en train de regarder mon itinéraire. Il me propose de le rappeler quand j’arrive à Rue, d’ici là, il partira à la rechercher virtuelle d’un camping où je pourrais me reposer en attendant Mebeh. Il me laisse en faisant plein de blagues comme quoi il fait le copilote, et me dit, d’une voix de GPS, « vous devez aller tout droit ». C’est l’étape simple aujourd’hui.
Nouveau soin palliatif ? Le Camping ? Je n’avais même pas envisagé l’option. Tournure luxueuse. Mais dans l’état où je suis, soit je me pose pour au moins 24 heure, soit j’abandonne.
Je continue donc mon cheminement calmement, sans trop paniquer pour l’eau, Rue finira bien par se pointer, mais l’environnement n’a rien d’agréable.
On est à une dizaine de km de la côte, mais on pourrait être n’importe où dans la campagne française triste. Le genre d’endroit où personne n’a rien à foutre hors de sa bagnole. C’est bien pour ça qu’un piéton n’y a pas sa place.
Et lorsque la route à double sens se transforme en voies doubles séparées par un terre plein, je commence à me demander si je ne vais pas finir sur une autoroute.
Les véhicules frôlent mon sac obèse, mes pas sont mal assurés, je marche, on dirait Obélix. Parfois, pour délester mes épaules, j’attrape mon sac comme il porte ses menhirs.
J’pourrais faire du stop, mais il faudrait parler, ça m’emmerde. Et vu la gueule des panneaux criblés de plombs, je vois par avance celle des conducteurs.
Ça n’avance pas, et cette route qui va tout droit, avec ses peupliers, et ses buissons bêtes partout. Y a rien à voir ici ! A bout de force, je m’affale sur un bas côté et m’octroie une méga pause sans fin.
J’fini la bouteille, je filme un crapaud dans l’herbe, j’m’occupe.
Au loin, une grue. J’me relève, motivé par la prochaine pause que je compte prendre au pied de cette grue. Si y a grue, y a chantier. Si y a chantier, y a village. Village, eau, c’est facile.
Ouai, encore qu’un dimanche du mois d’août, va falloir être un peu sorcier pour s’en procurer.
La route se perd dans un virage, et voilà, je suis à Rue. C’était pas compliqué. J’aurai attendu 5 minutes pour faire ma pause, et j’y serai depuis longtemps.
Dès l’entrée du village, derrière le Champion fermé, bar ouvert. Il doit être 14 et quelques. J’irai bien boire un truc frais, Maxence m’a dit qu’il m’offrait une bière par procuration.
Pas le moment, j’vais m’avancer, trouver un camping, et on verra après. J’ai la tête qui tourne, il doit faire pas loin de mille degrés dans les rues de Rue. Quel nom à la con, en plus. Ha, plan !
Ha un camping, putain, j’suis passé devant !? J’y retourne, j’ai la tête qui tourne.
La gare est à l’opposé, c’est repéré pour demain.
J’vais au « camping des peupliers », que me confirme mon père. Un truc envahi de mobil homes, de caravanes, de gens gros aux torses nus, qui passent leur temps à s’insulter, et gosses blonds qui braillent sur leurs vélos.
Au milieu de tout ce bordel, un bâtiment dur : les sanitaires.
Je cherche le patron, « il ne revient pas avant demain, z’avez qu’à vous installer lô derrière, et vous réglerez plus tard. » m’explique un habitué.
« Lô derrière », sous le vasistas des chiottes, coincé contre une haie, sous un arbre. A gauche, la table de ping pong, lieu de réunion des ados, à droite, les tables de pique nique où les plus jeunes jouent à chat perché.
Au moins, j’ai accès à une borne électrique pour recharger mon portable, et puis pour le prix indiqué à l’entrée 1euro30 la nuit en tente, j’vais pas me plaindre.
J’installe la mienne, enfourne mes affaires, ferme bien : une 20aine de gosses passe son temps à tourner autour des sanitaires et près de ma tente. Je sens que si je laisse trainer quelque chose, ils vont jouer avec, je ne vais jamais le retrouver.
Je ne garde que la serviette, et poffffffffchhhh, une douche. Chaude. La première en trois jours. Un bonheur. Camping style : t’as un seul crochet pour garder tes affaires au sec, faut tout y accrocher dans un ordre méthodique de la serviette aux chaussures.
Les toilettes fuient et puent. La chaleur n’arrange rien. C’est l’heure de l’apéro, les insultent volent, ça rigole fort aussi. Les parents sont bourrés, les gosses font n’importe quoi, fument et jurent comme leurs vieux.
Et moi, au milieu de la cour des miracles, allongé dans ma tente, propre, je savoure le nouveau cap qui s’ouvre dans mon aventure, en étirant mes jambes courbaturées. Je ne vais rien foutre, me laisser flotter en attendant demain midi, dessiner un peu, surtout ne pas marcher.
Je ne peux plus marcher.








 
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